Outil e-theatre

Le projet de réalisation d’un logiciel est né d’une tentative de regroupement de chercheurs désireux de comprendre comment s’articulent les écritures scéniques actuelles en fonction des diverses contraintes reliées à l’ensemble du processus de création (axe 1 : phases de conception), de production (axe 2 : travail de répétition) et de réception (axe 3 : représentation). 

Axe conception

L’objectif principal du premier axe vise donc à répertorier et à documenter de façon médiologique les outils utilisés par les créateurs selon l’hypothèse que chaque projet interartistique présuppose la création d’un outil propre adapté aux médias et aux éléments composant la partition globale et dynamique. L’arrivée d’un protocole commun défini par le langage numérique a grandement favorisé cette volonté de synthèse en rassemblant autour d’un même outil l’ensemble des concepteurs d’un projet scénique. Le numérique permet des simulations se rapprochant de la réalité, mais a-t-on vraiment besoin de cette précision à la manière des storyboards animés pour le cinéma ? Est-ce que cette capacité de prévisualisation répond à un véritable besoin provenant des créateurs ou sert-elle plutôt à calmer les attentes des producteurs surtout en ce qui concerne des productions spectaculaires à grand déploiement ? Au théâtre, est-ce qu’une prévisualisation dynamique aux étapes de conception et de pré-production ne tuerait pas le sacro-saint travail de la salle de répétition où tout peut encore bouger, où tout peut être encore trouvé ? C’est devant tous ces questionnements que la cible de l’écriture plurielle s’est précisée, ne serait-ce que pour déterminer à partir de quels concepts et de quels éléments actifs se fera cette écriture de la complexité qui aura une incidence sur le travail de répétition (préparation du matériel, logistique de travail avec plusieurs équipes en appui – images, sons, lumière, programmation interactive…). 

Axe production

Dans ce genre de processus où les éléments actifs sont nombreux, les salles de répétition deviennent parfois aussi équipées techniquement sinon plus que les salles de diffusion. Mais comment noter ce qui fonctionne bien (lors d’improvisations par exemple) s’il y a trop de variables qui interagissent. La méthodologie pour l’observation du travail de répétition (autant pour la notation du travail par les assistants que pour les recherches sur la génétique des spectacles) doit aussi s’adapter à la pluralité nouvelle. La mise au point d’outils plus raffinés devient un enjeu concret. 

Axe représentation

Autre utopie pour la création d’un outil logiciel qui, cette fois, ne se contente pas seulement de rendre compte d’une simultanéité de potentialités pour la création, mais qui désire rendre compte du parcours entre l’intention créatrice et la réception effective. Mais comment documenter ce parcours de production-réception complexe à travers des variables en évolution ? Comment en parler s’il y a plusieurs partitions individualisées, si le déroulement peut être modifié de soir en soir ? Comment déterminer la pertinence des éléments en jeu afin de formuler une analyse critique ?

Besoins d’un logiciel

Les besoins visés par l’outil proviennent de différents artistes de la scène ayant côtoyés les membres d’AREA sur plusieurs recherches satellites nourrissant pas à pas le processus de conception logiciel.

Cas de figure : Dreamland de TRI

Arielle Cloutier, étudiante à la maîtrise en Littératures, arts de la scène et de l’écran, a consacré une partie de sa recherche sur la création d’un outil timeline, dont l’un des apports premiers consiste à voir et analyser le spectacle en construction en seul coup d’œil dans une mise en forme synthèse, codée et temporelle. Ayant pu assisté Théâtre Rude Ingénierie lors de leur création complexe de Dreamland, elle d’abord pris le temps de discuter longuement avec eux pour connaître leurs besoins spécifiques en lien avec cet outil possible de notation, besoins continuant d’être une base de références pour la conception plus approfondie du logiciel e-theatre associé au projet AREA.

Lien vers le mémoire d’Arielle Cloutier. Lire le chapitre 4 sur la présentation et l’expérimentation de l’outil Timeline et sur une esquisse d’un outil de base de données apparenté au logiciel e-theatre.

Image extraite du site web de la compagnie Théâtre Rude Ingénierie.

 

Doctorat sur mesure de Marc-Philippe Parent

D’autres objectifs visés par le logiciel ont été élaborés dans le cadre du doctorat sur mesure de Marc-Philippe Parent. Ces objectifs parcourent l’étendue des possibilités offertes par un outil tel qu’imaginé par l’équipe et proposent déjà des approches bien concrètes quant à leur réalisation.

GESTION DE LA POSITION DES ACTEURS

Comme expérimenté dans le cours GIF-7001, il est possible de reconnaître la position des acteurs sur la scène en utilisant deux webcams. On peut aussi le faire avec des Kinect de Microsoft ou d’autres outils vus précédemment. Peu importe l’appareil utilisé, nous pourrons utiliser un format standardisé permettant de connaître la position des comédiens. Ces données seront stockées dans la base de données et associées au numéro de ligne dans le texte. Il sera alors possible d’établir des mesures de déplacements et d’établir des métriques, tel que présenté plus loin.

MESURES DE PAS ET DE DISTANCE PARCOURUE

Nous pourrons coupler les données de positions avec d’autres recueillies en utilisant les capteurs d’un appareil mobile que l’acteur portera sur lui. Une application mobile pourra être utilisée en permanence par l’acteur quand il est sur le plateau. Le nombre de pas, la distance parcourue, le nombre de rotation, d’accélérations, etc. pourront être comptés pour permettre d’établir des métriques, par exemple évaluer le rythme. On pourrait ajouter l’évolution du rythme cardiaque si l’appareil est équipé du capteur à cet effet.

RECONNAISSANCE VOCALE POUR SYNCHRONISER AVEC LE TEXTE

L’application Shazam [SHA2015] reconnaît les chansons en les écoutant, mais permet aussi de la chanter en affichant les paroles de manière synchronisée. Comme cette synchronisation, nous prévoyons synchroniser les enregistrements de la voix dans la vidéo avec le texte prédéfini de la pièce. La reconnaissance vocale sans connaître le texte d’avance peut-être parfois laborieuse comme plusieurs ont pu l’expérimenter avec leur assistant personnel comme Siri de Apple. Mais lorsque le texte est connu, il est beaucoup plus facile de le synchroniser comme Shazam.

ANALYSE TEMPORELLE

Il y a deux formes d’analyse temporelle dans une production théâtrale. La première est la progression du temps pendant la pièce, pendant l’histoire. La seconde fait référence au temps qui passe pendant la préparation de la pièce.

Le temps dans la pièce

Le temps sert ici de référence dans la progression du texte jusqu’à la fin du texte. On peut imaginer alors des courbes débutant au temps t0 et se terminant à tf. Chaque courbe représentant l’évolution ou le cheminement du concept à mesure que la pièce avance du début à la fin. On ne va pas nécessairement considérer le temps qui se déroule dans la pièce, qui pourrait s’étaler sur des années ou contenir des flashbacks, mais plus souvent le temps qui passe entre le début de la représentation et sa fin 2h plus tard par exemple.

Le temps dans la préparation du spectacle

Ici, on veut plutôt regarder l’évolution de la pièce à mesure que sa préparation avance. Plutôt que des courbes montrant une évolution, on cherche plutôt à conserver les différentes couches de « réalités » par lesquelles est passé le processus de création. Il n’est pas rare en effet qu’entre la première rencontre et la dernière représentation, que certaines scènes aient changées complètement par leur forme, leur sens ou leur lieu. Il faut être capable de retracer l’évolution de chaque partie. C’est autant pratique pendant la préparation pour ne pas par exemple reproduire une erreur du passé, qui avait été enregistré dans une couche antérieure, ou bien pour l’archivage et l’analyse final.

MÉTRIQUES

Nous désirons établir une liste de métriques pour logiciel. En utilisant des capteurs externes comme les caméras ou les Kinect ou les micros, filmer les répétitions et la représentation pour y mesurer plusieurs informations. Nous pourrions par exemple, en fonction des déplacements effectués par les comédiens, évaluer le rythme, mesurer l’espace occupé tout au long de la pièce, évaluer la vitesse des déplacements effectués. On pourrait aussi compter le nombre d’entrées et de sorties de la scène. On peut donc accumuler des valeurs de positions tout au long du projet et en voir l’évolution en fonction des critères précédents. On peut aussi utiliser les micros pour mesurer la puissance et le rythme de la voix ou des voix ou même de la trame sonore. On pourrait par exemple cibler les endroits où il y a une montée en puissance du son général de la pièce et voir le tout sur une ligne du temps.

On peut aussi utiliser des capteurs internes, c’est-à-dire des capteurs portés par les comédiens comme les appareils mobiles ou les capteurs RFID. On pourrait alors augmenter la précision des valeurs obtenues par le décompte du nombre de pas faits ou même les compléter comme avec, par exemple, l’utilisation du rythme cardiaque.

RÉTROACTION

La ligne du temps, tel un électrocardiogramme ou tout autre appareil médical mesurant dans le temps différents rythmes serait une piste à regarder pour la présentation de ces métriques. Nous pourrions utiliser des icônes animées au début de chaque ligne pour l’identifier, en plus d’utiliser une couleur distinctive.

Cinemetric [BRO2012] utilise une approche très intéressante pour représenter une œuvre cinématographique qui pourrait être reprise pour le théâtre. Il représente, par une arche presque fermée en cercle, l’ensemble de l’œuvre. Selon certaines métriques, il attribue des couleurs différentes à différentes couches de l’arche. De plus, il sépare en sections de l’arche les scènes du film. Selon les métriques, les sections se déplacent chacune à leur propre rythme. On peut voir un exemple de deux films à la Figure 37. On peut voir, même sans le mouvement, comment les deux films n’ont pas la même structure ou le même rythme.

Figure 37: Cinemetric, comparaison de deux films de science-fiction [BRO2012]
Nous pourrions voir à appliquer un système semblable pour une pièce en la comparant à elle-même après plusieurs répétitions ou représentations, ou pour comparer deux productions différentes de la même pièce ou comparer des pièces différentes.

 

ANNOTATIONS

Lors de répétitions, l’annotation est toujours une tâche importante. Il faut qu’elle soit efficace. Pendant que l’on note, on peut manquer autre chose qui se produit au même moment et que l’on aimerait aussi noter. Il faut donc que la prise de note soit facile et rapide. C’est pourquoi nous suggérons des moyens pour permettre la saisie de notes autrement que par l’utilisation d’un clavier. Non pas que nous ne permettrions pas cette option qui est souvent nécessaire, mais bien pour offrir un complément de moyens rapides et efficaces qui permettraient de ne pas nuire à la prise de notes et à leur propagation par la suite. En effet, les notes ne servent pas juste à l’auteur, elles doivent aussi être communiquées aux membres de l’équipe concernés.

Avec boutons

Nous inclurons des boutons à l’interface pour permettre l’ajustement rapide de notes. Certains types de notes reviennent plus souvent et peuvent donc être préparées d’avance et être inscrites dans des boutons. L’utilisateur pourrait choisir les boutons qu’ils utilisent le plus ou les paramétrer lui-même en fonction de ses besoins. S’il n’utilise pas un bouton, il l’enlève de ses préférences. S’il en utilise un plus qu’un autre, alors il le met plus en évidence. Il pourra aussi choisir une série de contrôle en fonction du moment dans la préparation. S’il s’agit plus du travail de table, les commentaires ne seront pas nécessairement les mêmes que lors des enchaînements finaux avec les techniciens sur place.

Indexation

À l’instar des applications sportives, une série de raccourcis, ou des boutons, pourront permettre d’indexer automatiquement des séquences à l’intérieur des enregistrements. Il sera possible de personnaliser des index. Par exemple, un metteur en scène qui voudrait identifier les « bons moments » pour les présenter à son équipe, pourra se créer un index « Bon moment ». Un autre qui aimerait souligner un bel ajout qui aurait été fait lors de la répétition pourrait créer ce type d’index et l’identifier dans l’enregistrement. Ce pourrait aussi être pour indiquer des moments à retravailler plus en détail. Les possibilités sont assez grandes de ce côté.

Autres objets graphiques

Liste déroulante d’icônes représentant des émotions, afin de signifier que l’émotion à ce moment devrait être la joie, la tristesse ou la colère. La Figure 38 présente un exemple d’icône intégré au clavier virtuel d’IOS, le système d’exploitation des appareils mobiles Apple.

Figure 38: icônes d’émotions intégrées au clavier d’IOS d’Apple

Des barres de défilement verticales ou horizontales représentant par exemple un gradateur de volume ou d’éclairage pour signifier d’augmenter ou de diminuer la puissance de la musique, de la trame sonore ou de la voix, ou bien de changer l’éclairage. On peut voir un exemple pour l’éclairage à la Figure 39.

Figure 39: Barre de défilement tirée de IOS d’Apple

 

GESTION DES NOTES

 En fonction de la position du curseur dans le texte, de la synchronisation avec la voix ou de l’heure du serveur, il serait intéressant que les notes soient automatiquement associées aux personnages concernés. Celui ou ceux qui parlent ou ceux qui sont présents sur la scène au moment de la note. On pourrait aussi se servir de la proximité des acteurs sur la scène pour savoir qui est concerné par la note. Ou plutôt que de noter dans le texte, noter dans le plan de la scène. C’est-à-dire sur une vue aérienne avec les personnages au bon endroit à ce moment précis de la scène. La note sera alors associée aux bonnes personnes au bon moment.

Cette association note, lieu, personnage et temps, permettra, à la fin ou même pendant la répétition, de faire suivre les notes aux membres de l’équipe directement. Ce qui pourrait permettre d’économiser des dizaines de minutes, voir même plus d’une heure, en communication et propagation des notes verbalement, à la fin de chaque répétition.

REPRODUCTION 3D

À l’instar de SET [SET2015], l’application pourrait reproduire l’espace scénique et les déplacements des personnages. Il serait intéressant d’y ajouter les projections vidéo et audio. Nous regarderons du côté de Unity [UNI2015], l’engin d’animation utilisé par le projet SET.

En utilisant un principe de fichier XML comme le permettait XtraNormal [XTR2012], il serait facile de combiner la reconnaissance de position et la reproduction 3D. On aurait alors un environnement et des avatars prédéfinis que l’on pourrait faire mouvoir en fonction des coordonnées x, y, z enregistrés à partir de la reconnaissance de position et minutés à partir de la reconnaissance vocale.

Il existe aussi 3d max et les fichiers .fbx comme on a pu les voir avec Open Stage 2. Si une équipe peut avoir les moyens de s’équiper d’une solution comme Open Stage 2, il peut alors être intéressant de l’utiliser pour la reproduction en temps réel de l’animation.